Interviews

Sans détours – Livia Lancelot (1/2)

Sans détours – Livia Lancelot (1/2)

Elle est la dernière représentante tricolore à avoir décroché un titre mondial.

En 2008, elle inscrivait son nom dans l’histoire du Motocross Français et succédait à Jacky Vimond, Jean Michel Bayle, Sebastien Tortelli, Frederic Bolley, Mickael Pichon, Mickael Maschio, Yves Demaria & Christophe Pourcel en remportant un premier sacre mondial avant de réitérer en 2016, après les titres mondiaux de ses confrères Pierre Alexandre Renet, Marvin Musquin, Jordi Tixier et Romain Febvre.

Cette saison, elles sont cinq Françaises – toutes engagées en mondial féminin – à espérer reprendre un jour le flambeau de Livia Lancelot.

Après 10 ans à disputer les épreuves mondiales, années marquées par 2 titres de championne du monde et 7 titres nationaux, Livia Lancelot a mis un terme à sa carrière sportive pour tomber définitivement le casque et enfiler la casquette de team-manager de l’équipe Honda 114 Motorsports. Une opportunité présentée par Giacomo Gariboldi en personne et saisie à bras le corps par Livia qui décidait d’ouvrir un nouveau chapitre de sa carrière professionnelle par la même occasion.

Dans la première partie de ce nouvel opus de la série « sans détours », Livia Lancelot nous rejoint pour revenir sur ses débuts, sur la création de l’équipe Honda 114 Motorsports avec Giacomo Gariboldi, sur la vie de team-manager, sur la philosophie de son team, sur les débuts en 2018 avec Lawrence avant l’arrivée d’Evans & sur l’adaptation de Bailey Malkiewicz & Nathan Crawford pour leur première saison en mondial.

Pssst ! l'article continue ci-dessous :)

Livia, on t’offre une moto alors que tu n’es qu’une enfant et tu fais tes débuts dans le sport contre les garçons. À quel moment on se dit qu’il y a quelque chose à jouer en Motocross chez les Lancelot ?

Lors de mon premier voyage aux USA, en 2004, j’avais 16 ans. J’avais gagné un voyage aux USA grâce à Pierrick Paget qui avait organisé tout ça avec David Vuillemin, ils s’étaient démenés pour que ça puisse se faire.

J’ai donc gagné ce voyage, j’ai débarqué aux USA avec mon père et Pierrick. David avait organisé une moto avec Yamaha sur place et j’ai pu participer à une épreuve du championnat féminin aux États-Unis. On s’est rendu compte qu’il y avait des filles qui étaient professionnelles dans le monde de la moto, et on a vu que ça valait le coup d’y réfléchir sérieusement.

Avant ça, je suivais un cursus scolaire classique, je voulais être vétérinaire, on n’était pas du tout parti sur de la moto.

Tu roulais pourtant contre les garçons, mais il n’existait pas de championnat réservé pour vous à l’époque.

C’est ça. On prenait déjà la moto sérieusement, mes parents sacrifiaient tout leur temps et leur argent. On n’avait rien de fou, on roulait sur le Junior, j’avais deux motos, une prépa’ suspension, c’était déjà sérieux, mais c’était du Junior !

Je me qualifiais une fois sur deux, quand je marquais un point, c’était la fête au village car on était vraiment content; pour une fille, c’était top, mais ça s’arrête là.

C’est bien, mais tu ne deviens pas pro car tu marques un point en championnat de France Junior. “Est-ce que quelqu’un va bien vouloir me payer, me sponsoriser pour ça ?”. Non, clairement.

Avant cette épreuve aux USA contre les filles, on savait qu’il y avait quelque chose, on se doutait qu’il y avait du potentiel, que le sport féminin se développait; mais il n’y avait pas de coupe du monde pour nous.

Je ne m’étais jamais vraiment alignée derrière une grille contre des filles, à part sur quelques petites courses. Il y avait une catégorie féminine au Family Cross par exemple, mais on roulait en même temps que la catégorie vétéran, il n’y avait pas de vrai championnat féminin.

Imagine-toi à la place de mes parents. Tu as un enfant de 15 ans, tu ne sacrifies pas l’école et peut être son avenir sans savoir où tu vas. Je faisais des stages, je roulais sur le junior, j’essayais de faire de mon mieux, on faisait ce qu’on pouvait, mais on se disait que plus tard, j’allais devenir vétérinaire.

2 jours avec Livia | XLMag Objectif Landes
La pub' permet de rester indépendant, et gratuit !

@Jeff Ruiz

Bingo, la coupe du monde féminine voit le jour ?

Bingo. On arrive aux USA, ça se passe super bien, je signe des podiums et pour mon âge, en 125, c’était impressionnant. Là-bas, beaucoup de gens sont venu me voir pour me demander si j’allais venir disputer tout le championnat la saison suivante.

C’est aux USA qu’on a appris qu’une coupe du monde féminine se préparait. Quand on est rentré, on s’est renseigné, on a contacté la fédération, et de là, je me suis inscrite. Au début, on ne savait même pas. La FFM n’était pas trop renseignée; elle savait que j’existais mais je n’étais pas encore en équipe de France; ils ne s’en fichaient pas, mais presque, car pour eux, c’était difficile de juger de mon niveau puisque je ne roulais que contre des garçons.

Ok, il y avait une coupe du monde mais je me qualifiais tout juste au Junior contre les garçons; du coup, est-ce qu’on envoie cette pilote en coupe du monde ? Est-ce que ça en vaut la peine ? C’était une période de flou.

Livia Lancelot championne du monde de motocross féminin

Visiblement, ça en a valu la peine puisque 7 titres nationaux et 2 titres de championne du monde plus tard, tu mettras un terme à ta carrière sportive, fin 2017, avant de t’embarquer dans l’aventure 114 en tant que team manager avec un constructeur bien différent de celui avec lequel tu as raflé tes titres; c’est quoi l’histoire ?! J’imagine que tu t’es tourné vers une certaine marque au début …

Bien sûr.

J’ai créé le team 114 pour moi, la première fois, en 2014. Ça se passait bien, ça me correspondait beaucoup mieux que d’être dans des teams avec des garçons.

Le team a évolué, au début, il n’y avait que des filles, puis j’ai eu Axel Louis qui évoluait encore en 85cc à cette époque-là.
Je savais très bien que j’étais en fin de carrière, il me restait peut-être un an, deux ans ou trois, mais je savais que j’étais en train de préparer ma reconversion.

J’en ai donc parlé à Kawasaki, je leur ai dit que je me voyais bien en tant que team-manager, sur l’Europe pour commencer. Mais chez Kawasaki, ils n’étaient pas très chauds car ils avaient déjà des équipes: KRT, Bud Racing, F&H … Ils avaient déjà un peu de tout et ils n’avaient pas de budget à me donner.

En 2016, Giacomo Gariboldi est venu me voir une première fois. “Livia, j’aime bien ce que tu fais, quand on voit ton budget, ta gestion, je trouve ça vraiment bien et tu fais du bon boulot. J’aimerais travailler avec des jeunes car je vais bien devoir remplacer Tim Gajser à un moment. Est-ce que ça t’intéresse de faire un team en Europe pour moi avec des jeunes ?”

Je lui réponds que ça m’intéresse mais que je ne veux pas le faire en même temps que ma carrière. C’était soit être pilote à 100%, soit être team-manager à 100% et m’occuper des jeunes pour les amener à l’Europe.

J’avais conscience qu’un team en Europe 250, c’était beaucoup de travail, et je ne voulais pas tout faire mal. D’un côté, je ne voulais pas me retrouver dans une situation ou je ne pouvais pas me battre pour le titre, et je ne voulais pas non plus mettre en “péril” la carrière de jeunes pilotes en leur faisant faire une mauvaise année. Du coup, je le remercie pour l’offre mais je la décline.

Quels pilotes pour le team 114 Motorsports ? | Motocross - Enduro ...

En 2017, Giacomo revient me voir. “Livia, j’ai toujours ce projet avec les jeunes en tête, ça m’intéresse vraiment. Je fais tout ce que je peux, je te donne les budgets, je te fournis la meilleure moto pour ton championnat et tu t’occupes de mes deux jeunes”.

De là, on s’est assis autour d’une table pour en discuter sérieusement. Je l’ai remercié pour son offre, mais sa moto, je n’en voulais pas. Par contre, je voulais bien discuter d’un team avec des jeunes, et tout est parti de la.

Moi, je ne me sentais pas de faire ma dernière saison sur une Honda. Je trouvais que c’était risqué de changer de marque, toutes les motos sont différentes, et pour une dernière saison, je ne voyais pas l’intérêt. J’avais toutes mes habitudes avec Kawasaki et ça se passait très bien.

Par contre, dans le même temps, beaucoup de paramètres sont venus peser dans la balance. Ma casse moteur à Loket en 2015 m’avait vraiment affectée car j’ai pris conscience que même si j’étais prête à 200%, je ne pouvais pas tout maîtriser.

De plus, le championnat du monde féminin n’évoluait pas forcément dans le bon sens, il y a eu l’accident de Steven Lenoir … J’ai été affecté par ces paramètres, et j’ai dit à Giacomo “Ton offre, je la veux bien, mais sans la moto. Dès 2018, je deviendrais exclusivement team-manager”

Voilà pourquoi l’équipe s’est faite avec Honda et non avec Kawasaki. C’est Giacomo qui m’a fait confiance en premier, quand il a proposé le projet à Honda, Honda a sauté sur l’occasion.

Pssst ! l'article continue ci-dessous

Sans cette offre de Giacomo, tu aurais continué en mondial en 2018 ?

J’aurais refait une saison je pense, oui.

J’ai bien senti que l’opportunité qui était là – qui s’était présentée à deux reprises – était à saisir. Giacomo n’a plus rien à prouver, il sait exactement ce qu’il fait, il a monté un des plus gros team du paddock en 10 ans. Si je loupais cette opportunité et qu’il ne revenait pas me voir parce qu’il avait trouvé quelqu’un d’autre pour faire le boulot, j’allais le regretter.

Giacomo Gariboldi, ce n’est pas n’importe qui. On repartait sur un projet d’avenir pour mon futur, alors que dans le cas inverse, je repartais juste sur une saison en mondial car je savais que j’aurais rempilé pour une année maximum. Le choix a été vite fait.

L’offre de créer une équipe en EMX a rapidement évolué vers une équipe en MX2.

Voilà. À ma grande surprise, et à la surprise de Giacomo, alors qu’on était parti pour monter un team EMX250, Honda nous a répondu qu’ils avaient déjà des teams en Europe, mais pas en MX2.

Ils ont adoré notre projet, le fait que Giacomo soit avec moi pesait dans la balance à 2000%, et ils nous ont dit que tant qu’à donner des budgets à un team en MX2, autant nous les donner à nous.

On devait tout recalculer, leur présenter une liste de pilotes et faire le point.

Livia Lancelot Team Honda 114 Motorsports speaks openly on career ...

@Honda Racing

Pourtant, chez HRC, il y avait des pilotes MX2.

Oui, mais les budgets factory HRC arrivent directement du Japon. Le budget HRC est géré par les Japonais, le team de Giacomo est géré par le Japon en grande partie. Nous, on est géré par Honda Europe.

Les Japonais avaient leurs pilotes en mondial pour jouer la gagne, et ils voulaient une équipe support pour faire du top 10, top 5. On était parti sur un programme Européen, et on a fini par faire toute la saison de mondial dès la première année. Grosse charge de travail en l’espace de 6 mois.

Ça, c’était pendant la saison 2017. Quand j’arrivais sur les grands prix le vendredi, j’allais faire l’administratif, je faisais un tour de la piste à pied et après je passais le reste de ma journée dans le team HRC à discuter avec Giacomo pour monter le team en 2018.

Ça n’a pas du être évident de gérer tous ces aspects en 2017.

C’est vrai que c’était un peu compliqué [rires]. Mes parents, qui me connaissent très bien, et Yves Demaria, qui était mon entraîneur, n’arrêtaient pas de me dire d’éviter de faire ça pendant mes weekends de grands prix car je passais plus de temps à courir à droite à gauche pour rencontrer les sponsors & rencontrer Honda qu’à me reposer et à me concentrer sur ma course.

En 2018, vous avez fini par récupérer Hunter Lawrence quand il a eu un souci avec son équipe, alors que vous aviez déjà des pilotes ?

On venait tout juste de créer notre équipe pour faire du MX2, les pilotes n’avaient aucune confiance en nous, ce qui était complètement normal, on débarquait, on était un nouveau team. Oui, on allait être aidé par Honda, mais comment ? Est-ce que les motos allaient être bonnes ? Etc.

On se met d’accord avec Bas Vaessen qui cherchait un team, on lui propose le projet avec Giacomo. Je leur propose une solution d’entraînement avec des appartements dans le sud-ouest et tout ce qu’il faut pour s’entraîner correctement et éviter la mauvaise météo de la Belgique; on leur met en place quelque chose de correct.

Au même moment, on apprend que Suzuki arrête avec Hunter, et Hunter signe Geico pour la saison 2019. On sait que Hunter doit partir en 2019 mais il se retrouve à la rue au dernier moment. Pour te dire, on a signé le contrat avec lui lors du Motocross des nations.

Nous, ça nous servait bien d’un côté car plus aucun bon team ne pouvait le prendre car ils avaient bouclé les budgets et nous, on n’avait pas de budget de base pour le prendre, mais on avait la chance d’avoir des Honda. Hunter s’est dit que quitte à faire une saison de transition, autant qu’il commence à s’habituer à la Honda.

On signe un petit deal avec Geico pour qu’ils nous vendent des pièces moteurs et on se retrouve à avoir Hunter sous l’auvent en 2018.

Finalement, un sacré pilote, qui vous a aidé à faire vos preuves d’entrée de jeu.

Bien sûr, avec lui, on a fait le hold-up de l’année. Je ne vais pas te mentir, on n’avait absolument pas les moyens de se payer un pilote comme Hunter. On était au tout début du team et on n’avait pas encore de sponsors qui nous permettaient de signer des pilotes capables de jouer des podiums.

Premier grand prix du team, premier podium avec Hunter. On a fait nos preuves directement. On était super heureux. Ce n’était pas seulement dû à la chance, ce n’était pas que grâce à Hunter, on avait bien travaillé sur les motos, on avait bossé comme des malades pendant l’hiver, et tout s’était bien goupillé.

On partait dans une excellente dynamique, ça a boosté toute l’équipe, on avait envie de travailler encore plus. Commencer cette aventure et cette saison sur un podium, c’était génial.

MX2 : Podium pour le Honda 114 Motorsports à Frauenfeld

@Honda Racing

Dit moi, l’an dernier, vous avez eu un Japonais, Chihiro Notsuka. Il s’est passé quoi exactement avec lui ? Je ne l’ai jamais vu en piste, je l’ai croisé en Allemagne avec un collier cervical, mais c’est tout.

Alors Notsuka, c’était notre kamikaze qui devait faire l’Europe 250. Nostuka, c’est un garçon très gentil, un pilote au gros cœur, très généreux sur la poignée de gaz, et parfois trop généreux.

Ça se passait bien à l’entraînement mais on devait souvent le calmer; je lui disais de revoir sa technique; je lui disais qu’il fallait qu’il arrête d’essayer d’aller toujours plus vite.

Notsuka n’a – malheureusement – pas arrêté de se blesser. Il s’est cassé la clavicule à Arco, en Italie, il est tombé à l’entraînement, il s’est fait mal aux cervicales, ça n’a pas arrêté. Honda Japon nous l’avait envoyé car c’était un espoir Japonais, mais il faut vraiment qu’ils lui trouvent un entraîneur et qu’ils parviennent à le canaliser.

Hunter, puis Evans, et cette année, encore des Australiens. Dit moi si j’ai bon dans mon raisonnement ou si je me trompe: vous avez décidé d’aller tenter de trouver la perle rare là où personne n’allait la chercher. Hunter, ça avait marché, Evans, ça avait marché. Finalement, les pilotes Européens, on les connait tous car ils sortent de l’EMX, donc il n’y a pas de grosse surprise lors de leur passage en MX2. À contrario, un Australien que personne ne connait …

C’est ça.

Déjà, j’ai adoré l’esprit Australien. Je n’y suis encore jamais allé et j’ai hâte de pouvoir y remédier car pour le coup, j’adore cet esprit Australien. J’adore la famille Lawrence, la famille Evans, ils ont un mode de vie à la cool, relax, mais professionnel quand même.

Ils ne sont pas chiants pour un rien. S’ils voulaient rouler avec une tenue bleue et qu’on leur donne une rouge, ils ne vont pas faire la tronche pendant 3 semaines. Ça se passe vraiment bien.

Et puis, comme tu l’as dit, on connait tous les pilotes Européens. Quand on parle de pilotes Européens qu’on recherche en MX2 – pour ne parler que des Français – on va parler de Benistant, de Guyon, la prochaine génération MX2.

Je leur faisais faire des stages en tant qu’éducateur fédéral alors qu’ils étaient encore en 85cc. Je les connais par cœur ces jeunes, et les étrangers, c’est un peu la même chose depuis le temps que je suis dans les paddocks, que je suis présente sur les grands prix.

Même si ce n’est pas une science bien exacte, tu sais déjà à peu près qui sera capable de monter sur le podium en MX2.
Aujourd’hui, on n’est pas un team factory, on n’a pas les moyens de signer ces pilotes qu’on sait capable de monter sur les podiums, on n’a pas le budget.

Du coup, je préfère aller chercher un Australien, tenter un coup de poker, comme on a fait avec Evans par exemple.

Et puis pour un pilote Australien, c’est l’opportunité de toute sa vie, il doit avoir la hargne.

Clairement. On leur offre l’opportunité de venir en Europe. Ils savent que si ça se passe très bien, comme Mitch Evans, être chez nous est un tremplin pour être dans un excellent team.

Mitch, il a commencé à négocier son contrat chez HRC après le grand prix d’Argentine en 2019; c’est pour dire que ça n’a pas fait long feu. Un podium en Argentine, Giacomo le connaissait bien car je lui faisais des rapports, un physique taillé pour le 450, ça a été vite vu.

Un pilote comme Nathan Crawford, il est ici pour faire le même parcours qu’un Mitch Evans. Il sait que s’il fait une bonne saison avec des bons résultats chez 114, il a peut-être une place chez HRC.

Je ne te cache pas que quand Evans est arrivé ici… Il a roulé à Magescq, qui n’est pas une piste facile, et il roulait sur une moto d’origine avec quelques heures au compteur. Je l’ai vu faire 3 tours … Et c’était encore mieux que ce qu’on avait imaginé. Ça n’a pas loupé, c’est un bosseur, il est top, il l’a prouvé sur la 450 avec les courses de pré-saison qu’il a faite.

Dommage que sa saison 2019 ait déraillé suite à cette chute en Allemagne, car il avait le potentiel pour jouer devant à chaque épreuve.

Il était parti pour faire une belle saison, on faisait un peu des calculs au championnat et il pouvait remonter dans le top 5. Quand il a signé ses 2 podiums, je regardais beaucoup la situation au championnat et le top 5 était envisageable; voire même éventuellement le podium final, il était tellement bien. À la base, nous, on devait jouer le top 10.

Au final, Mitch Evans s’est pris au jeu, il y avait ce contrat HRC, il voulait vraiment bien faire, il a pris goût aux podiums, il s’est mis un peu trop de pression. Il est tombé une première fois et il a voulu revenir trop vite, il est retombé une seconde fois… Enchaîner les blessures, revenir trop tôt et reprendre quand tu n’es pas à 100%, on sait que ce n’est pas bon.

Mitch a sous-estimé la durée du championnat, qui se déroule sur une période très longue, dans plein de pays différents, ce qui inclut beaucoup de voyages et il a accusé le coup physiquement. Du coup, on essaye de bien expliquer à nos nouveaux pilotes qu’il est important de bien récupérer. Une fois que tu as fait ta préparation hivernale de 3 mois et que tu attaques la saison, tout s’enchaîne et c’est long, c’est très long, il faut s’économiser.

D’ailleurs, comment se sont-ils adaptés à la vie Européenne ? C’est un sacré changement au niveau du mode de vie, de la philosophie, du climat, de la nourriture, etc …

Ce n’est pas simple, surtout qu’on a tendance à sous estimer tout ça. Bailey, il est arrivé en France tout seul, il venait tout juste d’avoir 18 ans. Entre-temps, sa copine l’a rejoint et son père est venu un petit peu; il devait être présent pour 4 ou 5 grands prix avant cette histoire de virus.

Tu débarques dans un pays où personne ne parle ta langue, rien n’est pareil. La culture est différente, au supermarché, tu ne reconnais pas les ingrédients, tu es tout seul, et en plus, eux débarquent en plein hiver, au moins de novembre.

Autant te dire que quand je les ai récupéré à la gare de Bordeaux, ils étaient en short tous les deux … Si tu veux, dans le sud-ouest au mois de novembre, c’est un peu les giboulées de mars 24h/24 [rires].

Là, je me suis dit qu’on allait voir s’ils avaient du mental.

Heureusement que tu ne les envoies pas en Belgique, parce que là … [rires]

Pour le coup, c’est vrai qu’on a quand même un avantage, c’est que le sud-ouest se rapproche un peu de la Sunshine Coast en Australie, c’est probablement ce qui ressemble le plus à l’Australie en France. Il y a l’océan, les surfeurs, il fait meilleur qu’en Belgique et on a aussi pas mal de pilotes qui habitent dans le coin, Chapelière, les pilotes Bud, Harrison, donc ils ont vite fait de se faire un cercle d’amis, de faire du vélo ensemble, etc.

On se tient au courant avec Bud pour nos jours d’entraînements, comme ça on essaye d’aller en même temps sur les pistes, ce qui permet à tout le monde de rouler ensemble et d’avoir une vie sociale un peu plus cool, ça change du mécano et de la caissière du supermarché du coin [rires].

Les Australiens, ils sont venus seul. J’ai cru comprendre que quand la famille est autour des pilotes, ça devient vite plus compliqué.

Ça peut devenir plus compliqué, maintenant ce n’était pas un critère de sélection de nos pilotes, on ne se débarrasse pas de la famille en signant des Australiens [rires].

Par contre, on sait que certains pilotes Européens ont une famille compliquée et clairement, ça va être un frein. On regarde aussi cet aspect là et je ne m’en cache pas car il fait aussi partie de notre sport. Parfois, quand la famille est compliquée a gérer, c’est délicat.

On ne prend pas des Australiens pour ça, mais c’est quand même un avantage de les avoir tout seul. Le dialogue se fait beaucoup plus quand il n’y a pas la famille. On est avec des pilotes qui sont jeunes, quand on arrive à créer des interactions avec eux, avec moi, avec leurs mécanos, on sait qu’ils viendront nous voir nous en premier en cas de problèmes.

Quand la famille est autour – même si ce n’est pas le cas de tout le monde – et que ça ne se passe pas bien, les pilotes ont tendance à envoyer l’agent ou le papa. Ce n’est pas forcément la solution, car qui de mieux que le pilote pour exprimer son problème ?

C’est aussi un temps d’adaptation, on fait un peu de baby-sitting au début avec nos Australiens. Quand ils sont arrivés, je les ai emmené faire leurs courses pour leur expliquer les produits dans nos supermarchés, pour leur trouver une carte SIM, pour leur montrer la salle de sports … C’est difficile à visualiser, mais je m’en occupais vraiment 24/24 au début, c’est comme avoir des enfants [rires]. Jusqu’à ce qu’ils prennent le rythme et qu’ils se débrouillent seuls. Ils ne connaissent pas tout ça.

Mais cette relation instaure aussi de la confiance qui fait qu’ils viennent te voir quand ils ont un problème, et ça, c’est cool. Je veux qu’ils se sentent bien, qu’ils aient des solutions s’ils rencontrent un problème.

Eric Sorby s’occupe d’eux, on a un préparateur physique qui est vraiment pédagogue avec eux, c’est vraiment agréable. On essaye de les mettre dans les meilleures conditions.

Quel a été leur ressenti après avoir vécu leur premier Valkenswaard ?

Difficile. Bailey traînait une blessure au genou depuis les courses de pré-saison en Italie, et Valkenswaard sans pouvoir mettre le pied par-terre, c’est très compliqué.

Cette blessure l’empêchait de s’entraîner correctement donc physiquement, il n’était pas prêt. Il a tout accumulé pour que ça ne se passe pas au mieux mais il nous a montré une très belle vitesse de pointe malgré tout. En seconde manche, il s’est accroché avec un autre pilote au départ, il repart presque dernier pour pointer 9ème dans le premier tour. Je me suis dit “Ce n’est pas possible, on ne peut pas couper la piste à Valkenswaard, pas vrai ?” J’ai eu un doute, il était passé par où ? [rires].

Le manque de physique s’est fait ressentir et il a terminé juste en dehors du top 10 mais c’était un bon weekend. Bailey était content, il aime bien le sable et c’était une bonne expérience.

Nathan a été pénalisé par des mauvais départs tout le weekend, pas mal de chutes. Il manque de chance car il tombe lors de la manche qualificative, puis il tombe au départ de la première manche et se fait rouler dessus … On lui a dit de faire de son mieux et de ne pas se prendre la tête.

Nathan a 22 ans, c’est sa dernière année en MX2. On sait tous que c’est difficile de trouver un team en 450 et Nathan se met une pression de malade. Nous, on est censé ne faire que du MX2 et on ne pense pas pouvoir mettre une 450 sous l’auvent pour le garder l’an prochain. Nathan ressent cette pression, il se dit qu’il a cette chance qui s’offre à lui et qu’il ne faut pas la louper. Il veut en faire beaucoup, et se précipiter à Valkenswaard, ça ne fonctionne pas […]

Image d’introduction: warwan_multyde


Retour