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Sans détours – Sebastien Tortelli (1/2)


Double champion du monde de Motocross dans les années 90 avant de s’envoler à la conquête des USA, Sébastien “Dyno” Tortelli a fait son retour avec sa famille de ce côté-ci de l’Atlantique fin 2016 en s’installant à Barcelone.

Pilote au grand cœur, Sebastien Tortelli est l’un des rares à pouvoir se targuer d’avoir battu Stefan Everts et Ricky Carmichael au sommet de leur art. S’il a jeté les gants de la compétition sportive depuis, Sebastien ne s’est jamais trop éloigné des circuits en se tournant vers la relève et en leur proposant ses services en tant qu’entraîneur; d’abord aux USA, et désormais en Europe.

Au programme de la première partie de ce nouvel opus de la série “Sans détours”, le retour de Sebastien en Europe, le coaching de pilotes, la saison 1998 & le grand prix de Grèce, la victoire en Supercross à Los Angeles et le départ aux USA, la rivalité avec Ricky Carmichael et l’arrivée d’Aldon Baker…

Dans la seconde partie,  on abordera le sujet du Motocross des nations 2020, de l’évolution des mœurs aux USA, des changements effectués sur le mondial, de la reprise du Supercross US et de la période de confinement pour les pilotes MXGP, on fera également un détour par la transition au 4 temps, par le grand prix du Mexique en 2012 et bien plus encore.

Un entretien de 90 minutes à déguster sans modération pendant cette période de confinement. Micro.

Pssst ! l'article continue ci-dessous :)

@TonyBlazier

Sébastien, de retour des USA , tu vis désormais en Espagne. Pourquoi le retour, et pourquoi l’Espagne ?

Ça faisait déjà un moment que l’idée nous taquinait et mes enfants avaient déjà un certain âge. Ils changeaient d’école à ce moment-là et au début de l’année, mon papa est tombé malade, il a eu une leucémie, et c’était un peu déclencheur de notre retour.

Concours de circonstances, problèmes de santé pour mon père, c’était la sonnette d’alarme. Si on voulait se rapprocher de nos parents, c’était le moment de le faire, et ça donnait aussi l’opportunité à mes enfants de recevoir une éducation un peu différente car ils sont nés aux USA, ils ont été éduqué dans un style très Américain, que ce soit à l’école ou même dans leur façon de faire. Je voulais leur apporter cette diversité, qu’ils connaissent l’Europe car ici, on fonctionne d’une façon différente.

Pour mes enfants, connaître les deux était un bon équilibre pour leur développement. Voilà les raisons qui font qu’on a déménagé.

Pourquoi l’Espagne ? Car de base en Espagne, il fait beau (rires), et venant de Californie …. L’idée c’était d’avoir un choc culturel mais pas un choc à tous les niveaux, autant garder le soleil et la mer. C’était un premier pas pour notre retour en Europe et on était déjà venu à Barcelone plusieurs fois, c’est une ville vachement internationale et ça nous a attirés. C’est une grande ville mais c’est une ville de quartiers, rien à voir avec Paris ou la vie peut être un enfer. La vie avec les Espagnols est relativement simple et tranquille.

Pour mes enfants, c’était une bonne transition avec la vie citadine à l’Européenne tout en gardant une certaine qualité de vie.

Aux dernières nouvelles, tu coaches toujours des pilotes, lesquels ?

Je suis toujours présent sur les grands prix et sur le championnat d’Europe, j’entraîne un pilote Israélien que je connais depuis les USA, Suff Sella. C’était un pilote d’enduro à la base en Israël car c’est le sport moto le plus répandu, le motocross étant – en quelque sorte – interdit.

J’ai commencé à l’entraîner en 85cc alors qu’il ne savait pas sauter une table, c’était un gros travail et désormais, il réalise sa dernière année en Europe 125. Je suis vraiment content de son évolution car il est désormais à un niveau où il peut se qualifier en Europe ; il a encore pas mal de choses à apprendre car il passe de 6 pilotes sur une grille de départ à 80 pilotes qui essayent de se qualifier et c’est encore un gros choc pour lui, ça avance, je suis content.

J’entraîne également un jeune Espagnol depuis 3 ans, Edgar Canet, il est champion d’Espagne l’an dernier et il réalise sa première saison en Europe 125cc cette année, il vient d’avoir 15 ans.

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J’entraîne Virginie Germond qui fait le mondial féminin, je l’entraînais déjà à l’époque aux USA et désormais, je l’accompagne sur le WMX.

J’ai aussi un pilote Suisse, Nicolas Gerber que j’entraîne de temps en temps mais qui reste en championnat national Suisse.

Mon programme est basé autour de ces personnes-là et de leurs championnats. Ça, c’est pour le Motocross.

En Supercross, j’entraîne un pilote Allemand qui roule pour Fox, Carl Ostermann, Je lui ai fait participer au championnat de France 85SX ou il termine 2eme. Il est passé directement au 250 cette année. Je lui apporte mon expérience des USA.

Etant donné que je suis ami avec Cedric Soubeyras, ils roulent souvent ensemble lorsque l’on s’entraîne en France et font beaucoup d’épreuves communes, ça nous permet de travailler ensemble et de donner le meilleur exemple français en Supercross à Carl. J’ai épaulé Cédric sur ses derniers titres en SX Tour et pour son premier titre d’Arenacross Anglais.

Plus jeune aux US, j’ai bossé avec Justin Brayton, Jason Anderson, après avec Blake Wharton, je bossais avec plusieurs pilotes chez les amateurs, j’étais plus présent avec des amateurs aux USA, ça me permettait d’être un peu moins en déplacement sur les épreuves. C’était super sympa, surtout de voir l’évolution des jeunes.

Jan de Groot nous a quittés... - Moto Verte

Avec Jan de Groot

Bosser avec des pilotes de mondial, ça te brancherait ? On voit Ryan Hughes qui bosse avec Coldenhoff, ou encore Eric Sorby avec les pilotes 114.

Oui bien sûr, mais ce n’est pas le même travail qu’avec un jeune. Un pilote de mondial a son style de pilotage et sa technique qui lui est propre, ce n’est pas quelque chose à réinventer, c’est plus apporter un support et des solutions quand le pilote en a besoin ; je le sais par expérience quand j’ai travaillé avec Jacky Vimond ou Ricky Johnson. Ce n’est plus du tout du développement, c’est du mental, de la confiance, il faut être capable de trouver des solutions pour l’accompagner dans sa bulle où il est en mesure de performer.

C’est différent d’un pilote qui se développe, qui a besoin d’améliorer sa technique et qu’il faut aider pour lui éviter de faire des erreurs de jeune, un pilote à qui il faut amener de la vitesse et une structure qui lui permettra d’évoluer plus tard.

Ce sont deux boulots différents, mais deux boulots sont très sympas. Quand tu entraînes un pilote de grand prix ou un pilote pro, les résultats sont – pour les deux – la clé. Le but, c’est surtout d’apporter une force mentale supplémentaire et la confiance dont le pilote a besoin pour savoir que les résultats vont suivre.

À ce niveau-là, les ¾ du résultat viennent du mental et de la façon dont le pilote aborde la course, ils sont tous capables de rouler à haut niveau, la dernière étape est un travail mental qui fait que le pilote sait qu’il est prêt et qu’il dispose de toutes les clefs et atouts de son côté pour performer.

1999 High Point Sebastian Tortelli-02 | Photos provided with… | Flickr

1999 – High Point – American Honda

J’imagine que quand tu t’appelles Coldenhoff, Cairoli ou Herlings, tu n’as pas besoin que ton entraîneur te place des plots à l’entrée d’un virage pour travailler tes freinages.

Tu serais surpris (rires), de temps en temps, revenir sur des bases permet de ressourcer le pilote car ça lui donne une diversité mentale qui lui permet de rasseoir ses bases. Ce n’est pas quelque chose que tu fais tous les jours mais ça lui fait quand même du bien.

Aujourd’hui, le problème, c’est que les pilotes Européens sont partis sur une base d’entraînement à l’Américaine, c’est-à-dire être capable de faire des manches, encore des manches, toujours des manches, et ça créé une lassitude qui peut être efficace sur une préparation mais ce n’est pas le seul point à aborder. Il y a tellement d’autres choses autour. Il y a une ouverture d’esprit à faire, il faut voir la piste d’une façon différente, aujourd’hui, on est de nouveau parti sur ce que Carmichael avait commencé avec Aldon Baker. On est parti sur une base où le nombre d’heure réalisé sur la moto est synonyme de performance.

C’est une façon de penser, Aldon Baker a bien montré que son programme était performant, mais ça vient aussi avec un prix. Je pense qu’il y a d’autres façons d’y arriver et d’être performant. Je ne dis pas qu’il ne faut pas faire ces heures de moto, mais il faut aussi une ouverture d’esprit à avoir pour être capable d’être au top et d’y rester. Herlings est parti sur ce type d’entraînement, faire des heures à moto, ça lui réussit, mais il y a d’autres problèmes qui s’y greffent, comme les blessures, et il faut voir combien de temps la carrière durera également.

FLASHBACK FRIDAY | 2000 WASHOUGAL NATIONAL | Motocross Action Magazine

2000 – Washougal – @MotocrossActionMag

Quelle est la personne qui a été la plus influente dans ta carrière et pourquoi ?

Je pense qu’il y en a plusieurs. Jacky Vimond forcément, car c’est lui qui m’a épaulé et qui m’a appris quand j’étais jeune et ce jusqu’à mes deux titres mondiaux, c’était une base solide qui m’a permis d’être le pilote que j’ai été. En tant que pilote, j’étais volontaire, mais la combinaison des deux a fait en sorte que les résultats ont suivi.

Ricky Johnson, c’est celui qui m’a aidé techniquement en SX et qui m’a permis de vraiment franchir beaucoup de paliers dont celui de combler la différence entre un pilote US et un pilote Européen.

Ce sont les deux personnes qui m’ont permis d’avoir le succès que j’ai eu et par expérience, je sais qu’une préparation en Supercross ou en Motocross n’a pas les mêmes bases, et des préparations différentes.

2001 Sebastien Tortelli | Motocross bikes, Motocross racer, Honda ...

2001

3ème du mondial en 1995, ton premier titre mondial 125 en 1996, à ce moment-là, avais-tu déjà décidé d’aller faire carrière aux USA ou tu te voyais plus comme un pilote de grands prix et les projets ont changé ensuite ?

Les USA, c’était quelque chose qui m’attirait déjà à l’époque. JMB avait créé cette effervescence, c’était l’époque où il avait quelque part ouvert la voie pour nous. Beaucoup de pilotes de ma génération – Vuillemin, Roncada – ont été influencés par ce que Jean Michel avait créé, et fait là-bas. Notre génération avec cette idée-là, c’était déjà ancré dans mon esprit mais on savait qu’il fallait faire nos armes en Europe avant de pouvoir décoller pour les US. Il y avait d’abord des objectifs à réaliser en Europe avant de penser à partir aux USA.

Rester en Europe, me battre pendant des années contre Stefan et pour des titres mondiaux ne m’intéressait pas, ce n’était pas mon objectif. Des carrières comme celles de Stefan, Cairoli, Herlings,…c’est top mais ce n’était pas mon truc, avec tout le respect que j’ai pour eux.

Une fois les titres acquis dans chaque catégorie, je voulais de nouveaux challenges, et apprendre le Supercross a été mon plus gros défi. Et je l’ai fait en attaquant directement chez les meilleurs et dans la catégorie reine ! Avec le recul, je suis fier de ce que j’ai réalisé. Je suis parti de presque zéro, je n’ai jamais loupé la qualification en finale et je finis 6eme du championnat en 2000…et il y avait du monde !

Après, pour le Motocross, c’est diffèrent. À Unadilla en 1999, Doug Henry me catapulte sur un saut et je me casse le poignet alors que j’avais 30 points d’avance au championnat. Ensuite, je tombe sur un Ricky Carmichael, un battant comme moi et même si notre vitesse de pointe était proche, alors qu’on se battait pour le titre, je me fais 2 entorses aux chevilles à Troy, Ohio, et je perds donc le contact aux points.

L’année d’après, je me bats encore avec lui au championnat et je tombe en panne d’essence (alors que je l’avais doublé plus tôt dans la manche) juste avant l’arrivée. Je perds de gros points ce jour-la, et donc le titre parce que quand tu as un pilote comme ça en face de toi, chaque point compte !

2002 Steel City Sebastien Tortelli - Tony Scavo Pic | Flickr

2002 – Steel City

Ton titre de champion du monde 250 acquis en Grèce en 1998 après une saison de folie contre Everts. Comment ça se passe en deuxième manche sous ton casque, dans les 10 dernières minutes ?

Avant même d’aller sur la grille, en partant du camion, j’ai dit à mon épouse « Quand je reviendrai, je serai champion ». Pour moi, c’était clair, je voyais ça comme ça, dans mon esprit, il n’y avait pas d’autre possibilité. Je suis allé sur la grille de départ et – chose que je ne fais jamais, car je ne suis pas quelqu’un d’extraverti – après avoir préparé ma grille, je suis allé voir Stefan et je lui ai dit « Good Luck ». Chose que je n’avais jamais faite avant.

Tu l’as assassiné mentalement.

Probablement (rires). Mais c’est quelque chose qui m’est venu tout naturellement et je n’ai pas pensé, pas forcé, c’était juste instinctif. Je savais que Stefan était très rapide en début de manche, pour avoir fait toute la saison avec lui, je commençais à le connaître aussi. Cette saison-là, à travers les manches, j’avais bien vu qu’il avait une baisse de forme à partir des 20/25 minutes. Je savais qu’essayer de partir devant dès le début ne servirait à rien, il fallait que j’attende. J’ai demandé à mon mécano de me dire quand on avait fait 20 minutes, je voulais absolument savoir et il n’avait plutôt pas intérêt à se tromper (rires).

Stefan est parti en tête, j’étais 3 derrière Vohland. Je lui ai gueulé dessus au second virage, il a vu que c’était moi et il m’a laissé passer, personne ne voulait se mettre entre nous deux. Je me retrouve derrière Stefan après 3 virages et de là, j’ai attendu.

J’ai attendu jusqu’à ce que mon mécano me panneaute « 20 minutes » et là, je me suis dit « c’est maintenant ou jamais ».

C’est là que j’ai doublé Stefan, je l’ai poussé un peu dans les banderoles pour lui envoyer un message clair, mais gentiment. Et de là, je me suis dit que c’était simple, qu’il fallait signer des tours chronos jusqu’à ce que Stefan lâche mentalement vu qu’il était entré dans sa période de faiblesse de la manche.

Stefan tombe deux virages plus tard, mais moi, je ne le sais pas sur l’instant, et je pars sur un sprint. Je repasse devant mon mécanicien qui m’informe que Stefan est tombé, je me retourne et je ne vois personne derrière moi.

Il restait 10 minutes, les 10 minutes les plus difficiles de ma vie (rires). Je ne savais pas où était Stefan, mais j’avais de l’espace, quand tu tombes, tu perds facilement 10 secondes.

De là, je commence à entendre des bruits sur ma moto, je fais attention à ne pas tomber, je ne sautais plus aussi loin sur les sauts à plats de peur de casser les roues, pleins de trucs comme ça. Finalement, je termine et je gagne le titre, mais ces 10 minutes, c’était vraiment les plus longues. Même en étant à l’agonie pour finir une manche, 10 minutes ça ne paraissait pas aussi long. (rires)

Pour l’anecdote, j’avais la finale du championnat de France à disputer le weekend après mon titre, et j’ai roulé avec la même moto.

En première manche, je ne peux pas aller sur la grille de départ car on remarque que mon arrière de cadre est cassé au dernier moment et le temps de le changer, j’arrive trop tard et je loupe la première manche.

En seconde manche, autre problème sur la moto, mais heureusement je rentre au camion à temps et je peux prendre le départ et je gagne la manche.

En Superfinale, j’étais en tête, loin devant, j’avais une minute d’avance, un truc ridicule, et mon frein arrière casse à l’appel d’un saut – sur une longue ligne droite à Thomer la Sogne – je m’en rappelle encore. Il y avait une petite table et un virage à 180 degrés. Il fallait arriver vite et freiner à l’appel de la table et quand je suis arrivée sur l’appel, plus de frein, je me suis envolé, j’ai lâché la moto en l’air et résultat, je me suis cassé le pied.

@TonyBlazier

Est-ce que tu avais brûlé un cierge avant le GP de Grêce ?

Je ne sais pas (rires). Mais tout ça m’est arrivé la semaine d’après avec la même moto, je n’ai pas pu faire les Nations, c’était assez virulent comme retournement de situation, surtout que j’avais déjà signé avec American Honda, et pendant toute ma convalescence, je n’ai pas pu m’entraîner et je me suis pointé au Supercross US en 1999 avec seulement 3 semaines de moto dans les jambes.

Los Angeles, 1998, on va y revenir. Tu avais déjà fait quelques épreuves en Supercross avant ça. C’était quoi l’idée autour des Supercross US à cette époque-là ?

Je roulais déjà depuis quelques années aux USA en Supercross pendant l’hiver. Je m’entraînais, je passais un mois chez Jim Castillo du côté de Santa Barbara, Jim était à l’époque le fondateur de CTI, et était également un ami de Jacky Vimond.

Ça me permettait de m’entraîner en Supercross, Jim avait un terrain de sable sur sa propriété et j’avais aussi l’opportunité de faire des courses locales sur place, ça me permettait de faire des courses et de m’entraîner dans les bonnes conditions, c’est pourquoi on passait le mois de Janvier là-bas.

Tout ça, c’était dans la continuité de ma saison. Nous, on avait le championnat de France SX jusqu’en décembre et on avait la possibilité de faire quelques courses là-bas en janvier. J’avais le support de Team Green qui me filait une moto et Oxbow à l’époque – qui était mon équipementier – me donnait un budget pour pouvoir m’entraîner aux USA, ça faisait partie de mon contrat.

J’avais fait plusieurs Supercross en 125cc, je me battais contre Pingree à l’époque qui était officiel Kawasaki, on était alors en 1996.

L’AMA – me voyant arriver avec mes grands sabots en Supercross 125 US – a pondu une règle spécialement pour moi. Je venais d’être 3eme au championnat du monde et cette règle, qu’ils ont créée juste pour moi, disait que si un pilote était dans le top 3 du mondial, alors il n’avait pas le droit de rouler en 125 aux USA.

Forcément, c’était visé directement contre moi. Vu que je roulais en 125, j’ai été obligé de monter en 250 alors que je n’avais jamais roulé en 250. Je n’ai jamais été en mesure de me qualifier, je m’arrêtais toujours en LCQ. L’AMA avait fait exprès de me barrer la route en 125 pour ne pas me frotter à Pingree qui était celui qui devait remporter le titre cette année-là ; finalement, il était en tête du championnat avant de se casser le fémur.

J’ai gentiment été mis de côté. Donc pas de Supercross en 125 en 1996 et 1997 et j’ai roulé sans me qualifier en Supercross US à l’intersaison au guidon d’une 250.  Pour David Vuillemin, les années suivantes, ils avaient retiré la règle. Peut-être qu’ils se sentaient coupables (rires)

Quand je suis arrivé en 1998 pour le premier Supercross à Los Angeles, c’était la première fois que je me qualifiais en finale en 250.

Les années Suzuki – @Transworld

Aujourd’hui, ça me paraît carrément impensable de voir un pilote qui joue les titres mondiaux faire quelques Supercross à l’intersaison.

C’était l’époque. Pour un Français, c’était comme ça que ça se passait car on avait la structure pour.

Le championnat de Supercross Français était super, on faisait beaucoup de Supercross en été et après, on avait la partie indoor avec JLFO en hiver avec 6 ou 7 épreuves.

C’était à l’époque où le Supercross Français était très développé, avec moins de courses en grand prix, donc moi, en tant que pilote Français sponsorisé par Kawa Europe, j’avais aussi de l’aide de Kawa France mais en contrepartie, je devais rouler en championnat de France.

Dans mes contrats, je devais faire le national  et le mondial donc je faisais les championnats Elites, les championnats de France de Supercross, car ça ramenait les titres à Kawasaki France pour le développement interne de la marque.

Aujourd’hui, l’industrie n’est plus dans cet esprit-là car les sponsorings s’orientent plus directement vers le mondial. Kawasaki Europe, Honda Europe, Yamaha Europe, ils ont scindé le tout, et les championnats ont perdu beaucoup de poids et les pilotes n’ont plus l’obligation de faire leurs championnats nationaux et souvent les usines leur demandent de faire le championnat où ils sont basés : le championnat Hollandais ou Italien, tout dépend du team ; c’est là que les championnats nationaux ont perdu leurs pilotes mondiaux.

C’est ce qui a fini par créer une industrie parallèle. Dans nos contrats à l’époque, on avait le mondial et les championnats Français, qui se déroulaient autour du mondial. En fin d’année, on faisait autant de courses que le mondial n’en fait aujourd’hui, mais sur plusieurs championnats, aujourd’hui le mondial a pris le dessus avec 20 épreuves et reste le championnat phare pour les pilotes.

@TonyBlazier

On revient donc en 1998, première qualification en 250 en Supercross à Los Angeles, et première victoire ? Tu pars loin, tu ne célèbres même pas à l’arrivée, c’est quoi l’histoire ?

Je crois que gagne la LCQ … Non, peut-être que je gagne la série, et mon mécanicien de l’époque arrive en retard sur la grille de départ pour la finale ….(rires)

Quand tu arrives en retard, tout le monde est déjà là et je me retrouve à rentrer en dernier sur la grille à côté d’Ezra Lusk. Il y avait de la boue au départ et avec Ezra, on se retrouve à l’extérieur dans 1m de boue.

Au départ, le seul qui était derrière moi, c’était lui. Bon, premier vrai Supercross en 250, je remonte les pilotes, et je connais les mecs présents.

Le truc, c’est que je n’ai pas vu Mickael Pichon ce soir-là. Je savais très bien que Mickael était un super bon pilote dans la boue et en plus, il y avait des ornières, ce n’était pas évident. En bref, je n’ai jamais vu Mickael car il est tombé dans les whoops en contrebas, je l’ai doublé sans le voir.

Donc quand j’arrive derrière Doug Henry, mon mécano me panneaute « 2 for 2 », et mon Anglais n’étant pas terrible à l’époque, je me dis que si je double Henry, je termine second.

Ça faisait un moment que j’étais derrière Doug, il me faisait des brake-check dans les ornières, il était assez salaud avec moi, quelques droites et gauches, j’arrive finalement à le passer.

@TonyBlazier

Mais tu roulais 2 secondes plus vite que tout le monde au tour ce soir-là.

Ce soir-là, pour moi c’était un peu gras avec des ornières mais pas vraiment boueux, les autres le voyaient différemment. Ce qu’il s’est passé, c’est que les pilotes principaux se sont qualifiés directement pour la finale, moi j’ai dû passer par la série et le terrain avait séché.

En descendant du péristyle du stade, il y avait un double qui était trop boueux pour être sauté lors de la première qualification. Sauf qu’ils ont nettoyé ce double avant ma série  et j’ai été capable de le sauter sans aucun problème. En finale, les autres pilotes avaient un temps de retard pour le sauter et être efficace.

En finale, j’étais à l’aise sur le circuit, et à chaque fois que j’avais un pilote devant moi, je le doublais dans la descente sur ce double.

C’est ce qui m’a permis de remonter une grosse partie des pilotes, et même de doubler Jeff Emig, et de là, il ne me restait plus qu’à doubler John Dowd et Doug Henry sauf que je pensais que Henry était second.

À force de pousser, Henry a fini par faire une erreur et je l’ai doublé avant l’arrivée. Il a ensuite essayé de me block-passer et il a calé. Il a tout perdu en 2 virages car il n’a jamais redémarré. Moi je finis donc la finale, je passe l’arrivée super content, je pensais être second pour ma première finale de Supercross US en 250.

J’arrive au podium, je vois Davey Coombs de RacerX – que je connais bien puisqu’il adore les championnats Européens – qui me dit « Hey Seb, t’as gagné ! ». Je lui dis « Impossible, il y avait Mickael devant moi ». « Non, non, tu as gagné ! ».

Jusqu’au podium, je ne savais pas du tout ce qu’il s’était passé.

Pour l’anecdote, les gars de ESPN, la société qui diffusait le championnat à la TV, ne m’ont jamais vu faire ma remontée. Ils ont été obligés de prendre un avion le soir même pour Atlanta pour refaire les commentaires de la finale pendant la nuit et me mentionner pour montrer que c’était moi qui avait gagné !

En ce qui concerne le « 2 for 2 », c’est parce que la semaine avant l’ouverture du SX US, il y avait un Supercross extérieur organisé par le propriétaire du circuit de Perris Raceway à l’époque, une course avant le championnat, une course locale; on pouvait gagner 5.000 dollars en cash, et ça attirait de bons pilotes.

Je me suis pointé à cette course et Emig, double champion SX &MX sortant, roulait aussi car c’était juste à côté de chez lui. J’ai battu Emig sur cette course, j’ai eu le droit aux fans – des potes de Jeff – qui me jetaient de la bière dessus et me montraient leurs culs blancs sur les sauts, la totale (rires).

En fait, ce « 2 for 2 », ça voulait dire deux courses, deux victoires !

@TonyBlazier

Plutôt cool pour un début de saison aux US, par contre, il me semble que la suite ne s’est pas déroulée aussi bien.

Je me suis blessé la semaine d’après, je me suis fait le ligament postérieur du genou, je n’étais pas vraiment à 100% sur les courses suivantes et je crois que je fais des courses correctes en me battant dans les 5 et j’étais 5 ou 6 du championnat quand j’ai dû rentrer sur ordre de KAWASAKI Japon pour faire le mondial. Le ligament postérieur ne nécessite pas d’opération, il donne un peu de tiroir au genou, ce n’est pas le ligament primordial comme le croisé antérieur et tu peux le compenser avec une bonne musculature. J’ai pu faire les saisons suivantes sans aucun problème.

De ta carrière, ton adversaire le plus coriace, c’était Stefan Everts ou Ricky Carmichael ?

Le plus coriace a été Ricky, tout simplement car on était très similaire et il est toujours plus difficile de se battre contre soi que de se battre contre quelqu’un qui n’a pas du tout le même caractère et le même fonctionnement. Stefan et moi, on était vraiment opposé en tant que personne, pilote, façon de fonctionner sur une moto, alors que quand je suis tombé sur Ricky, je suis tombé sur la même teigne que moi avec la même éthique de travail, donc c’était plus difficile.

C’est à ce moment-là que Ricky a commencé à travailler avec Aldon Baker. Au début de la saison, c’était moi qui dominais en outdoor. Les gars de chez Oakley ont vu leur pilote se faire dominer, et ils ont introduit Baker au programme de Ricky et de là s’est opéré le changement, un gros changement.

Votre confrontation, c’est précurseur de l’entraînement qu’on connait actuellement aux USA ? Des mecs qui bouffent du physique & de la moto à gogo, qui suivent une diète stricte et qui se payent des entraîneurs de renom ?

C’est clair, Aldon venait du vélo, et c’est lui qui a donné ce régime d’entraînement à Ricky Carmichael. J’ai vu les changements se faire. Je dominais Ricky et d’un coup, il avait une autre intensité sur la moto, son corps avait changé de bien rond à sec et musclé. Ça a été une vraie bagarre entre nous deux et on s’est frotté beaucoup de fois, comme aux Nations en France, en 2000.

Sans détours – Sebastien Tortelli (1/2)

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