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Sans détours – Steven Frossard

Sans détours – Steven Frossard

Steven Frossard a affronté les plus grands noms du motocross mondial pendant ses plus belles années pour le compte des équipes les plus prestigieuses; il nous a fait vibrer à Saint Jean d’Angely en 2011 et nous rapportait la victoire aux Nations 2014 aux côtés de Dylan Ferrandis et Gautier Paulin, 13 ans après le dernier sacre Français.

Troisième du mondial MX2 en 2010 et vice-champion du monde MXGP derrière Antonio Cairoli en 2011, la carrière sportive de Steven Frossard s’arrêtait net en Italie, en 2015, des suites d’une terrible chute lors du grand prix de Mantova. Contre toute attente, le pilote Français battait les pronostics médicaux en retrouvant l’usage de ses jambes – paralysées suite à une fracture des vertèbres.

Aujourd’hui, Steven Frossard mène une vie presque normale et faisait même – l’an dernier – son retour sur les circuits; non plus en tant que pilote, mais en tant qu’entraîneur du jeune Quentin Prugnières, espoir protégé de Bud Racing, champion de France Espoirs, 3ème de l’Europe et 4ème du mondial 85cc en 2019.

Dans ce nouvel opus de la série “sans détours”, Steven Frossard est revenu sur son nouveau rôle en tant qu’entraîneur auprès des jeunes, sur l’ouverture de saison de Quentin à Matterley, sur ses saisons 2010 et 2011 et sa dernière victoire en Suède, sur l’arrivée de Ryan Villopoto en mondial chez Kawasaki, sur la longévité d’Antonio Cairoli en GP, sur le Motocross des nations 2014 et sa victoire à Saint Jean d’Angely en 2011, on parle également des débuts de Steven – sur le tard – et on fait un petit tour par le mondial MXGP et les nations 2020. Micro.

Steven, aux dernières nouvelles, tu entraînes désormais des pilotes, dont Quentin Prugnières depuis un an. Raconte ?

Réellement, ça ne fait qu’un an que je coache des pilotes. Quentin est venu à moi l’an dernier. À cette époque-là, je n’avais pas prévu de faire ce type de coaching tout de suite. Je devais prendre un peu plus de temps pour tout faire chez moi et pouvoir accueillir des pilotes. À la demande de Quentin et de ses parents, j’ai accepté de prendre de l’avance et de l’entraîner tout de suite.

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J’entraîne également d’autres jeunes de la région. Le but du jeu, c’est d’avoir un groupe de 4 ou 5 pilotes que je puisse faire évoluer comme je le fais avec Quentin.

Quentin vit chez moi et Lisandru nous a rejoint il y a 2 mois. Ils vont à l’école à côté de chez moi, il sont h24 avec moi, c’est même moi qui vais à leurs réunions parents/profs, je fais à manger, je les emmène à l’entraînement, on va en salle de sports, on fait absolument tout ensemble.

Quentin Prugnières – Bud Racing

J’ai été très surpris de voir Quentin louper la qualification à Matterley, que s’est-il passé ?

Pour Quentin, l’objectif cette année, c’est de rouler proche du top 5 en Europe 125. Matterley, c’est vrai que ça a été une surprise. Tout le monde a pensé qu’il avait eu un souci de moto, mais pas du tout. C’était un problème personnel.

Une personne très proche de lui a eu un accident à la Réunion et en 15 jours, Quentin a enchaîné les mauvaises nouvelles et psychologiquement, il était au fond du gouffre. C’est un jeune assez réservé, qui n’en parle pas trop. Il y a eu l’accident de Brian Moreau également, et le weekend avant Matterley, à l’entraînement, un pilote est tombé et s’est coincé la main dans une roue, on a été obligé d’appeler l’hélicoptère, etc … C’était un enchaînement d’événements qui l’ont marqué psychologiquement.

À Matterley, Quentin avait la tête ailleurs, on en a parlé au retour car j’ai bien vu qu’il y avait un problème, ça ne pouvait pas continuer. Quentin n’a pas mal roulé à Matterley, il n’a pas roulé du tout. Il a fait du rodage.

C’est vrai que de l’extérieur c’était étrange, Quentin était devant Maxime Grau en 85 en 2019. Maxime signe presque le podium à Matterley et Quentin loupe la qualification.

Maxime a vraiment très bien roulé à Matterley, de très belles courses. Mais Quentin, aux chronos, il arrivait à faire des choses de dingues avant l’Angleterre.

En Italie, lors de la première course de présaison, Quentin roulait devant, juste derrière un pilote Italien qui gagnait toutes les courses, un pilote qui a d’ailleurs battu Liam Everts sur les courses de présaison en Italie.

Quentin a vraiment le niveau, mais il n’était pas dedans à Matterley, c’est pourquoi il a raté la qualification. Il fait réserviste en roulant en rodage.

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Dans tout ça, il y a eu des circonstances. C’était un des premiers pilotes à se lancer pour son tour mais ils n’ont pas comptabilisé le premier partiel au premier tour. Hors, le premier tour, c’est le seul tour lors duquel il a pu sauter tous les enchaînements dans le premier partiel car après, la moto était trop chargée en boue. Ce ne sont pas des excuses, mais des circonstances.

Désormais, Quentin s’est remis à bloc dedans. La trêve lui a permis de réfléchir, il est motivé pour rouler, j’ai confiance en son potentiel, c’est un bosseur, ça va le faire.

Quentin Prugnières @Jenni MX

C’est un aspect assez complexe, le mental. Est-ce que c’est toi qui gères le coaching mental de Quentin ?

Alors, l’aspect mental, ce n’est pas mon domaine. Déjà, l’an dernier, il avait été perturbé par des choses qui n’auraient pas dû le perturber. Il termine 3ème de l’Europe 85 et 4 du mondial alors qu’il était très largement capable de tout gagner.

Dans sa tête, Quentin fait des blocages. Il est encore jeune, c’est normal, ça se travaille. Je lui avais proposé de travailler avec des personnes à ce moment-là, mais il n’était pas demandeur et n’en avait pas très envie, ces choses ne s’imposent pas. Si la personne ne le veut pas, ça ne fonctionnera pas. Cette fois, c’est venu de lui, et il a trouvé quelqu’un en qui il a confiance et avec qui il peut discuter, ça se passe bien. Du côté mental, Quentin va progresser tout le long de l’année.

Personnellement, j’ai toujours eu du mal de ce côté-là, sauf lors de ma dernière année. Je m’étais rapproché de quelqu’un qui m’aidait pas mal pour le mental. J’ai mis du temps à comprendre que c’était important.

Tu gères comment le programme de Quentin en cette période de confinement ?

Il avait des examens à passer après la première course du championnat de France – qui a été annulée – donc il est rentré chez lui. Il y a eu le confinement mis en place donc il est resté chez lui, et puisqu’on ne peut pas faire de moto … Je lui fais un programme à la semaine, et je lui envoie ce qu’il doit faire tous les jours. Il a un programme physique basé sur la course à pied, le vélo, plutôt en home trainer car on ne peut pas toujours bouger. Heureusement, il est un peu à la campagne donc il peut se permettre de sortir un peu.

Course à pied, vélo, musculation, Quentin n’a pas touché à la moto depuis le début des problèmes. On n’a pas joué avec le feu en essayant d’aller rouler discrètement, on a respecté le personnel hospitalier … Les autres, ils font ce qu’ils veulent, mais rouler une ou deux fois de plus, ça ne changera pas grand-chose.

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Steven Frossard – @Yamaha Racing

Toi qui était sur les épreuves de qualification pour l’Europe la saison dernière, elle est présente, la relève Française ?

Ouai, l’an dernier en tout cas, elle était présente. En 65, il y a quelques Français qui roulent très bien. Cayenne Danion, Mano Faure, Basile Pigois, Felix Cardineau, je dois en oublier …. En 85, il y avait Maxime Grau, Quentin Prugnières, ils roulent très bien, pour moi, ce sont des jeunes qui ont un gros potentiel et qui peuvent percer dans le futur.

Comment tu te vois évoluer en tant qu’entraîneur ?

Avant même de passer mon diplôme, on m’a proposé de devenir entraîneur dans un team de grand prix mais j’ai refusé. Ce n’était pas le moment pour moi.

Je venais de me blesser, j’avais besoin de me retrouver chez moi, de m’occuper de moi, de prendre du recul. Dans quelques années, pourquoi pas ? Sur le coup, ce n’était pas ma voie.

J’étais plus attiré par le fait d’entraîner des jeunes, c’est ce qui me plaît le plus en ce moment, de les faire évoluer, de les entraîner, ce n’est pas le même travail.

Les jeunes sont plus à l’écoute, ils ont beaucoup plus de choses à apprendre que les pilotes de grands prix.

Entraîner des pilotes de grands prix, pourquoi pas, mais c’est encore trop tôt. Le but, à court terme, c’est d’entraîner des pilotes jusqu’à l’Europe 250, pas au-delà pour l’instant.

J’ai encore des choses à faire chez moi, une fois que j’aurais tout mis en place, pourquoi pas ? Quand tu es entraîneur d’un team, c’est 18/20 courses, beaucoup de déplacement, j’ai eu ma blessure en 2015 et quand tu regardes, ça ne fait pas si longtemps que ça, j’ai encore besoin d’un peu de temps avant de me lancer et de voyager comme je pouvais le faire avant.

Motocross MX1 Milko Potisek (YZ450F) remplace Steven Frossard ...

Revenir sur les épreuves après avoir pris du temps pour toi, un peu de recul, ça te fait quoi, aujourd’hui ?

Franchement, ça ne me pique pas plus que ça. Beaucoup de gens me demandent si ça me fout les boules, pas vraiment. Peut-être un peu les 5 ou 10 premières minutes, durant lesquelles je me rappelle de la chute, de ce que j’ai vécu, de ma paralysie. On m’avait dit que je ne remarcherai plus. Je me rappelle de ça, et je me dis que malgré le fait que je ne sois pas derrière une grille de départ, aujourd’hui j’ai mes jambes, et je suis capable de tout faire, je fais encore de la moto par exemple.

Certes, j’ai des limites, j’ai un peu de mal à courir, j’ai gardé des séquelles au niveau des jambes car j’ai moins de force désormais. Je peux passer une journée debout, je n’ai pas mal au dos, je n’ai pas à me plaindre. Je fais ce que j’aime, je suis toujours dans le milieu de la moto.

Evidemment, j’aurais préféré avoir une carrière un peu plus longue, surtout que j’avais le potentiel pour rouler devant encore quelques années, mais bon, c’est comme ça, j’ai mes jambes, c’est le principal.

Steven Frossard et Jeremy Van Horebeek chez Kawasaki CLS en 2010

Retour sur tes débuts. Comparativement aux autres pilotes, tu as commencé la moto sur le tard, vers les 10 ans. À cet âge-là, un Jorge Prado avait déjà un titre mondial à son palmarès. Tu intègres le pôle de Bourges par la suite, c’est ce qui a tout déclenché ?

C’est ça, j’ai commencé la moto strictement par hasard à 9 ans. J’ai un frère plus vieux, il a 8 ans de plus que moi et mon frère s’est acheté une moto pour rouler dans les bois, on ne connaissait pas du tout le motocross.

Des amis à mes parents m’ont vu rouler et ont demandé à mon père pourquoi il ne m’achetait pas un 60, car à l’époque je roulais en 50 et je le cassais sur chaque saut. On a fini par se prendre au jeu, je roulais bien, sur les courses de ligue j’étais devant également, j’ai également fait le Minivert, etc.

Mon père travaillait la semaine et ne pouvait pas m’emmener rouler, et à l’âge de 13 ans et demi je suis parti au pôle de Bourges pendant 4 ans, et c’est là qu’on m’a appris à travailler, à faire de la moto de façon plus professionnelle, j’ai beaucoup appris sur l’entraînement. Pendant ces 4 ans, j’ai décroché un titre de champion de France Junior.

De là, on s’est demandé s’il fallait que j’arrête l’école, car j’avais 17 ans et j’avais été jusqu’au baccalauréat. Soit je continuais les études, soit j’essayais de faire une carrière dans la moto. J’ai reçu une proposition de KTM pour rouler en Europe, et tout est parti comme ça.

Tout s’est fait au fur et à mesure, quand j’étais petit, je ne me suis jamais dit que j’allais percer là-dedans, c’était un hasard. J’ai pris les choses au fur et à mesure et à l’âge de 16 ou 17 ans, quand j’ai commencé à être devant au junior, j’ai commencé à penser au titre mondial. Mais à 14 ans, je n’y pensais pas.

Steven Frossard s’impose en Bretagne - MediaCross

Steven Frossard sur le championnat de France MX2 en 2008 – @Mediacross

Tu termines 3ème du mondial MX2 en 2010, tu passes en MXGP en 2011 et termines vice-champion derrière Cairoli, les deux meilleures années de ta carrière.

En 2010, dernière année en MX2, une très bonne année. J’avais déjà un gabarit et un pilotage plus adapté à la 450 à la base. Au classement final de cette année-là, c’est Musquin, Roczen, Frossard, Osborne et Herlings 6ème. Quand tu vois aujourd’hui où ils en sont, ça fait plaisir de voir qu’à une époque je roulais parmi eux.

En 2011, meilleure année, meilleurs résultats, on ne m’attendait pas à ce niveau-là. J’avais des revanches à prendre, surtout dans le sable. En MX2, je galérais dans le sable. Selon moi, la moto que j’avais à l’époque n’était pas au top pour être devant dans le sable et je savais qu’en MXGP, on m’attendrait dans le sable. J’ai réussi à montrer que j’étais capable de rouler devant dans le sable en 450, j’étais polyvalent, sur toutes les surfaces, c’était cool.

J’ai eu des hauts et des bas durant cette saison, j’étais un peu trop fougueux, je faisais pas mal d’erreurs, ça a toujours fait partie de mon caractère. Ça reste une très bonne année, la meilleure année de ma carrière, surtout en remportant le grand prix de France, c’était assez impressionnant.

En 2011, tu étais en bataille avec Cairoli. Aujourd’hui, quand tu vas sur les grands prix, il est encore là, il roule encore devant, c’est un sacré morceau.

C’est vrai que c’est impressionnant. Il y a 2 ou 3 ans, quand j’allais à l’entraînement, les pilotes me disaient que Cairoli était fini. Je leur disais « vous allez voir ». Tous les ans, on entend ça, et il est toujours là.

Certes, il n’est pas au meilleur de sa forme, mais il a repris la moto il y a peu avec son épaule en vrac de la saison dernière et malgré le peu d’entraînement, il est là même si Herlings et Gajser sont un ton au-dessus.

Le vieux est toujours là et il roule devant, il est très loin d’être ridicule. Je l’ai vu rouler en Italie à Mantova, il termine derrière Gajser, pas loin, alors qu’il avait repris l’entraînement depuis 2 ou 3 semaines.

Frossard, le magnifique ! - Moto Verte

À bientôt 35 ans, Cairoli se bat contre les jeunes de 20/25 ans. C’est quoi le secret de la longévité de Cairoli ?

C’est fort. Antonio Cairoli est ultra intelligent dans sa façon d’aborder la course, de rouler. Antonio Cairoli, il a un limiteur dans sa tête, pour moi, c’est quelque chose d’inconscient.

Le jour où Antonio ne se sent pas bien, il est capable de se contenter d’une troisième ou une quatrième position. Il arrive à se raisonner. Un Herlings où un Gajser n’en sont pas capables même si je pense que Gajser a évolué de ce côté-là. Beaucoup de pilotes sont incapables de faire cette temporisation.

Romain Febvre, il veut être devant, il va aller chercher la limite et il va faire des erreurs, se faire mal, un peu comme moi je le faisais. Moi, je ne débranchais pas totalement, mais presque. Je me compare à un Romain Febvre.

J’allais dire Gajser ?!

Je pourrais me comparer à un Gajser d’avant, car il a changé, il a évolué. Le Tim Gajser d’aujourd’hui n’est plus le Tim Gajser d’il y a 2 ou 3 ans. Un Romain Febvre à un pilotage un peu plus en force, plus agressif, j’étais un peu dans ce style-là.

C’est clair que je savais aller très vite, mais ma nature faisait que je me prenais des taules.

Avec toi, c’était quitte ou double.

Au final, c’est peut-être cette facette-là qui m’a permis de percer. Les 5% que je donnais en plus – par rapport à un Cairoli qui utilise son intelligence de course – m’ont permis de progresser tout au long de ma carrière. Certes, j’ai pris des volumes, comme beaucoup de pilotes.

Aujourd’hui, si tu regardes un Dylan Ferrandis, tu vois qu’il n’a pas fini beaucoup de saisons, c’est un pilote très fougueux, et tu vois qu’il roule devant en Supercross US. Il y a 2 ans, il n’a pas fini la saison, l’an dernier, il a été champion et cette année, il est toujours devant.

Cette agressivité, c’est peut-être aussi ce qui permet à certains pilotes de progresser.

Mais tu dois bien avoir un mec à tes côtés qui vient te voir et te dit de te calmer, qui t’apprend à temporiser ?

C’est l’une des choses les plus dures à travailler selon moi. Car il faut travailler sur la nature de la personne. Une personne gentille ne deviendra pas méchante, c’est dans tes gênes, ça te rattrape toujours. Tu peux évoluer avec les années, mais au fond de toi, tu seras toujours le mec un peu agressif en piste.

Dans la vie, je suis vraiment très calme, par contre, quand j’étais sur une moto, c’était tout l’inverse. Au fond de moi, j’étais en feu, c’est vraiment très dur de contrôler.

Les entraîneurs qui sont H24 avec les pilotes permettent des évolutions de ce côté-là. Le jour J, le panneauteur peut t’aider à te canaliser avec des messages simples, après, c’est un travail de psychologie, de mental.

Retour en Suède, en 2011, ta dernière victoire de Grand Prix, tu t’en souviens ?

C’était étonnant, c’était un terrain que je n’appréciais pas vraiment. J’avais gagné en MX2 là-bas aussi. Ce jour-là, j’ai gagné les deux manches sans fatiguer, comme si tout me réussissait. Le pire, c’est que je suis tombé lors de la qualification du samedi. C’est le plus dur à comprendre.

Quand tout se passe mal, tu cherches à savoir pourquoi, tu cherches à trouver ce qui t’a posé problème, et tu finis en général par trouver. Par contre, quand tout se passe bien, tu ne sais pas toujours pourquoi.

Ce jour-là, tout s’est bien passé pour moi ; je pars devant à chaque fois, Cairoli était derrière moi, et à chaque tour, je lui mettais 0.5 secondes, 1 seconde, jusqu’à creuser un écart suffisant pour gérer la manche.

Lors d’un weekend comme ça, tu ne comprends pas. Mais c’était top.

Steven Frossard - Grand Prix de Suède 2011

Factory Yamaha, Factory Kawasaki, Villopoto arrive en Mondial, et d’un coup, on te retrouve dans une équipe privée, KTM STR, c’est quoi l’histoire ?

En 2014, je termine 5ème du mondial MXGP en loupant 7 manches car je chutais, j’avais des problèmes, mais je roulais plutôt bien. Je n’étais pas au top niveau mais je roulais très bien. Le but, c’était de faire une année de reconstruction car j’avais réalisé une année blanche en 2013.

Je roulais bien, le team était content. Gautier – qui était mon coéquipier à l’époque – a reçu une offre de Honda, donc il est parti. À ce moment-là, Kawasaki m’a proposé – verbalement – de prolonger pour l’année 2015. Je m’entendais très bien avec tout le monde, la structure était top, l’ambiance aussi, tout se passait très bien.

Au même moment, j’ai reçu une proposition de Red Bull KTM pour être coéquipier d’Antonio Cairoli en 2015, je suis allé tester les motos en Belgique. J’ai testé la 350 de Cairoli, la 450 de De Dycker. C’était rapide, une séance d’une heure trente et quelques réglages.

En plus de ça, Ice One Husqvarna était aussi intéressé. J’ai décliné les offres car je voulais absolument rester chez Kawasaki car l’entourage Kawasaki me convenait, c’était un team familial. Les mécanos chez Kawasaki étaient – pour la plupart – des mécanos qui travaillaient chez Yamaha à l’époque et qui m’avaient suivi. Je privilégiais l’ambiance et l’environnement. Cet accord était verbal et le contrat n’avait pas encore été rédigé.

Sauf que voilà, Villopoto a décidé de venir en Europe. Kawasaki voulait me mettre second pilote et être son coéquipier mais Villopoto voulait Tyla Rattray comme coéquipier, pas Steven Frossard.

Frossard, Guillod, Pootjes and Rutledge Top Day One in Trentino | MXGP

Pourquoi ?

Je pense que c’est parce qu’il avait déjà travaillé avec Tyla Rattray aux USA en tant que coéquipier chez Kawasaki. Villopoto, c’est le pilote qui débarque des USA pour tout gagner en Europe, on lui autorise tout. Quand tu es le meilleur pilote, tu imposes tes conditions. Je n’ai rien contre Ryan Villopoto. Il ne me connaît pas, il arrive en Europe, il a envie d’avoir un coéquipier qu’il connaît, avec qui il s’entend bien.

À partir de là, je me suis retrouvé sans guidon. RedBull a signé un autre pilote, Ice One également, et j’étais sans rien.

Cybermotard, GP de Thaïlande MXGP : Ryan Villopoto est entré en scène

Villopoto / Rattray – Kawasaki Racing 2015

« J’arrête tout », je voulais tout balancer et arrêter de rouler. J’ai décidé de continuer à m’entraîner de mon côté en me disant que le jour où un pilote se blesserait, je prendrais sa place.

L’autre option, qui m’avait toujours chauffée, c’était de partir aux USA pour faire l’outdoor, mais le souci, c’est qu’il est très compliqué de trouver un contrat juste pour l’outdoor aux USA.

J’ai fini par recevoir une proposition en Europe avec KTM STR mais je n’étais pas trop chaud. Mentalement, c’était assez compliqué puisque la saison d’avant, tous les teams usines me voulaient, et je m’étais retrouvé sans rien, psychologiquement, c’était une période très compliquée.

Cet hiver-là, je me suis remis dedans petit à petit, j’ai bossé à fond sur le physique. J’avais pris la décision de rouler sur un 350 en 2015, et lors de la deuxième course, j’ai dit à l’équipe que la 350 était dépassée et qu’il fallait rouler en 450.

Quand j’ai demandé au team de me fournir une 450, ils n’ont pas voulu car Cairoli roulait en 350. Ils ne suivaient pas mes recommandations et ne me donnaient pas ce dont j’avais besoin pour rouler devant. J’avais un problème au niveau des pneus également, c’était du Golden Tyre, je sentais le pneu qui se dérobait quand je roulais, c’était du chewing-gum, impossible.

J’ai fini par m’en mettre une bonne et Cairoli s’est pointé avec un 450. Même lui s’était aperçu que le 350 n’était plus d’actualité ; il fallait trop charbonner pour être au niveau d’une 450 et c’était dangereux. Cairoli était pilote d’usine, la 450 il l’a eu directement.

J’ai fini par avoir la 450 mais ils ne voulaient pas changer les pneus, c’était très compliqué de travailler comme ça. À un moment donné, je leur ai dit « Si vous ne changez pas les pneus, je vais me faire mal ». C’est exactement ce qu’il s’est passé. Une tôle, je me suis fait mal au dos, rien de grave, je me suis fait peur. S’ils ne changeaient pas de pneus, on ne pouvait pas continuer, c’était simple, j’avais peur de rouler.

On a trouvé une solution pour rompre le contrat avec STR KTM, et au même moment, Villopoto se blessait et ne revenait pas chez Kawasaki. En plus de ça, Kawasaki USA me proposait de remplacer Davy Millsaps suite à ses problèmes de contrôle Antidopage.

Kawasaki USA me proposait de faire toute la saison Outdoor aux US au moment où j’avais la proposition de Kawasaki Europe pour remplacer Villopoto en MXGP.

Le souci pour les USA, c’était le visa, l’obtenir allait prendre du temps et le championnat débutait 15 jours après l’offre. Le temps de l’obtenir, j’allais louper la première, la seconde, peut-être même la troisième épreuve de l’outdoor.

J’ai pris la décision de rester en Mondial pour terminer la saison avec Kawasaki.

Frossard "in" pour Sevlievo - Moto Verte

On connait malheureusement la suite. Et ton meilleur souvenir, c’est lequel ?

Gagner le grand prix de Saint Jean en 2011 devant le public Français. Ce qui m’avait choqué à Saint-Jean d’Angely, c’était la ligne droite de départ. Il y a un petit double avant les pits et j’entendais le public qui hurlait, je n’entendais même plus le bruit de ma moto. Ça me donnait des frissons en roulant. Un 450, ça fait du bruit, quand tu n’entends plus le bruit de la moto, c’est touchant.

Les pilotes le disent, le public Français est hors normes, et je ne dis pas ça parce que je suis Français.

Et les nations en 2014 ?

Aussi. Mais c’est une autre sensation, tu roules pour ton Pays, c’est un peu différent, mais c’était la folie aussi.

Gautier roulait très fort, Dylan était top en 250. Olivier Robert m’a pris moi, j’étais l’un des meilleurs Français, mais ce n’était pas la meilleure période pour moi car je savais que je n’avais pas de guidon pour la saison d’après.

Lors du stage de l’équipe de France à Saint Jean avant les Nations, je me prenais 5 secondes au tour par Gautier et Dylan, je n’avais pas envie de rouler, et Olivier Robert a commencé à douter. Je lui ai dit « fais-moi confiance, je serais là le jour J ». J’ai quitté le stage, ça ne servait à rien que je roule, je suis parti en vacances et une semaine avant les nations, on a fait un nouveau stage et là, je roulais comme Gautier, voire plus vite. On a remporté les nations, presque 15 ans après la dernière victoire Française, c’était vraiment la folie. Rouler avec les couleurs de la France, c’est énorme. L’équipe était au top, on s’entendait bien.

Steven Frossard – MXDN 2014

Et malgré la belle performance et la victoire aux nations, pas de guidon ?

Non, les contrats sont signés à partir de septembre/octobre dans les teams usines, donc c’était trop tard.

Ils vont faire comment cette année, quand on voit que la saison va peut-être s’éterniser jusqu’en novembre/décembre ?

Là, ça va être un gros souci pour tout le monde. Bon, pour les meilleurs pilotes, les Cairoli, les Herlings, les Gajser, Febvre, je ne me fais pas de souci, ça va être plus compliqué pour les pilotes du milieu de paquet car les managers vont devoir prendre des décisions après seulement quelques courses.

Pour ce qui est du championnat, on ne sait pas ce qu’il va se passer. S’ils n’ouvrent pas les frontières, on peut oublier. Ils essayent de faire des calendriers provisoires, mais tout est reporté, et c’est ce qu’il va se produire de nouveau.

Aller jusqu’en décembre ? J’ai vu qu’ils organisaient l’Argentine en Novembre ? n’importe quoi …

Et les nations 2020, on en fait quoi ? Ils ont prévu jusqu’à 7 grands prix après les nations.

Pour moi, c’est du grand n’importe quoi. Les nations, c’est pour clôturer la saison. Certes, c’est une course pour défendre son pays, mais c’est une toute autre ambiance et faire les nations, se mettre à fond dedans alors que des courses de championnat se déroulent après, ça n’a aucun sens. Tu ne vas pas prendre de risques pour une course qui ne compte pour rien au championnat.

Les nations, ça compte pour l’image, pour le pays, mais si c’est pour avoir des pilotes qui roulent à 80% de leur potentiel, ça ne va pas être très intéressant, sans compter les pilotes qui vont décider de ne pas y aller car ils auront un championnat à défendre derrière.

Steven Frossard – MXDN 2014

Et la règle des 23ans en MX2, tu en penses quoi ?

Je préfère le système Américain, les deux titres, où le nombre de points marqués, qui permet ensuite de redescendre en MX2. Je trouve que cette façon de fonctionner est top.

Pour finir, quel est le meilleur coéquipier que tu aies eu et pourquoi ?

Oula ! Moi, j’étais un solitaire. Après, les coéquipiers, c’est des collègues de travail. À partir du moment où il y a de la compétition, la tension arrive. Par contre, je n’ai jamais eu de problèmes avec qui que ce soit dans une équipe. Avec Gautier, ça s’est toujours très bien passé, avec Philippaerts, c’était plus compliqué, car il était un peu dégoûté. J’étais le petit nouveau et je faisais les résultats dans le team. Pour moi, tout s’est toujours très bien passé au niveau des teams.


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